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Interview in RAINBOW TIMES Nr. 47

ILGA et moi: toute une histoire

Veröffentlicht am 1. Februar 2012
Für diese „World Edition“ der Rainbow Times, der Zeitschrift des Brüsseler Regenbogenhauses, befragte mich FRANÇOIS MASSOZ-FOUILLIEN zu meinen mehr als 30 Jahren Aktivismus in Österreich und für die ILGA.

Kurt Krickler est l’un des activistes les plus engagés dans la lutte internationale des droits LGBTQI. Il a fondé et participé à la naissance de mouvements internationaux majeurs comme ILGA-Europe. Il nous propose un petit feedback sur trente ans de militantisme en Autriche. Propos recueillis par François Massoz-Fouillien.

Bonjour Kurt. Tu étais et tu es toujours un membre actif du milieu militant LGBTQI de Vienne et d’ailleurs. Tu as suivi de très près la naissance et l’évolution d’une institution importante dans ce domaine : ILGA-Europe. Pourrais-tu te présenter en quelques lignes ?

J’étais, en 1979, l’un des co-fondateurs d’ « Homosexuelle Initiative (HOSI) Wien », la première association homosexuelle en Autriche. Dès le début, l’HOSI Wien a reçu un grand soutien international, et nous avons toujours voulu rester fidèle à ce soutien en mettant en place toujours plus de structures pour lutter contre les discriminations du public LGBTQI. En 1981, HOSI Vienne participa pour la première fois à Turin à une conférence d’IGA, l’association gay internationale, qui est devenue plus tard l’ILGA. Et c’était vraiment le début d’un engagement très intensif qui a persisté jusqu’à aujourd’hui. En 1982, nous avons créé « l’Eastern Europe Information Pool (EEIP) », qui étudiait la situation générale du milieu LGBTQI à l’Est. En cette qualité, HOSI Wien a tissé des liens privilégiés avec le premier mouvement gay et lesbien qui a pris naissance dans le « bloc oriental » à cette époque-là. L’EEIP a existé jusqu’en 1990. Ce travail était très intéressant et excitant, mais est devenu obsolète après la chute du rideau de fer.

HOSI Wien et moi-même, étions engagés dans presque tous les grands projets d’IGA, soit au sein de l’ONU, soit auprès de l’OSCE ou du Conseil de l’Europe, en passant par des projets de prévention contre le sida et d’autres activités importantes à l’échelle européenne. Nous avons enfin participé à la « régionalisation » d’ILGA, dont l’un des résultats les plus importants était, en 1996, la fondation d’ILGA-Europe. Par la suite, HOSI Wien a aussi soutenu la construction de l’ILGA-Europe, dont je suis devenu co-président depuis sa création jusqu’en 2003.

Comment des institutions aussi importantes aujourd’hui ont-elles pu voir le jour une trentaine d’années auparavant ?

En 1979, la situation était très « arriérée » dans une Autriche très catholique. À cette époque, il était toujours interdit par le code pénal de fonder une organisation homosexuelle ou d‘y adhérer comme membre et de diffuser toute information valorisant l’homosexualité. Ces deux lois avaient été introduites, avec deux autres lois discriminatoires – l’interdiction de la prostitution entre hommes et pour les relations consenties entre hommes à partir de 18 ans, tandis qu’il était fixé à 14 ans pour les relations hétérosexuelles et lesbiennes – en 1971, quand les actes homosexuels entre hommes et femmes furent décriminalisés. Malgré ces lois, nous sommes parvenus à fonder l’HOSI Wien et faire du travail de sensibilisation et d’information publique. HOSI Wien est véritablement le fruit d’un hasard historique, qui a vu un groupe de gens avec les mêmes idées, la même vision, se rencontrer au même moment. Groupe qui parvient à se maintenir depuis plus de 30 ans. HOSI Wien et même parvenue à administrer depuis 1980 son propre centre communautaire, une sorte de Rainbow House à Vienne, ouvert cinq soirs par semaine.

ILGA ne s’est pas faite en un jour. Quelles furent les plus grosses difficultés à l’époque ?

ILGA a été fondée en 1978, et elle était, dans ses débuts, une organisation « grass roots » avec des structures déréglées, en ligne avec le « zeitgeist », l’esprit de l’époque : pas de hiérarchie, une « démocratie de base ». ILGA ne pouvait prendre des décisions que pendant les conférences annuelles. L’ILGA des premières années était plutôt un forum d’échange, un réseau d’informations sans personnel d’encadrement. ILGA dépendait totalement du soutien et des activités de la part de ses membres. Mais les choses ont rapidement évolué lorsqu’ILGA-Europe fut fondée en 1996 comme organisation régionale européenne de l’ILGA. Nous l’avons alors dotée, dès le début, d’une structure plus traditionnelle.

L’ILGA-Europe a commencé comme organisation relativement très pauvre, avec un budget annuel d’à peu près 8000 euros. En 2000, quand ILGA-Europe reçût une « subvention de base » pour louer un bureau à Bruxelles et pour employer du personnel grâce à un programme de la Commission européenne contre les discriminations. Aujourd’hui, l’ILGA-Europe dispose d’un budget annuel de presque deux millions d’euros, d’une dizaine d’employé/e/s et d’un « standing » formidable parmi les ONG européennes à Bruxelles.

Quel était le contexte politique et social de l’époque ? Comment vivait-on le militantisme LGBTQI dans l’Europe d’Hier ?

C’était une situation tout à fait différente de celle d‘aujourd’hui. L’homosexualité était un tabou absolu, et l’Autriche n’était pas le seul pays avec des lois pénales anti-homosexuelles. Pour nous, dans l’HOSI Wien, le militantisme était un terrain vierge et pour cette raison, il était très important pour nous de regarder à l’étranger. Moi-même étant un grand « aficionado » des pays nordiques, le mouvement scandinave est devenue l’exemple, le modèle pour HOSI Wien. De plus, nos prémisses ont coïncidé avec un sentiment d’ouverture générale de la société qui a débuté dans les années 70. Beaucoup de mouvements alternatifs se sont créés, les écologistes, les féministes, la psychiatrie démocratique, les pacifistes et beaucoup d’autres. Nous avons été très clairement influencés par ces nombreux mouvements. On était « anti-establishment ». Les thèmes et les priorités, évidemment, étaient différents à cette époque. On a concentré les efforts sur l’éducation du public, sur la sensibilisation, sur les relations publiques, sur la lutte contre les lois discriminatoires.

Au début des années 2000, notre plus grand succès fut sans conteste la suppression de toutes les lois anti-homosexuelles en Europe. Ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui avec l’élargissement de l’Europe. Ensuite, nous nous sommes engagés dans la lutte pour la reconnaissance du mariage de couples de même sexe. Le mariage était le symbole de la répression patriarcale et réactionnaire. On aurait tourné en ridicule chacun et chacune qui aurait osé revendiquer le mariage pour les couples gays et lesbiens. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la crise liée au sida nous a permis d’introduire cette question à la fin des années 80. De nombreuses personnes dans le milieu gay décédaient et laissaient leur partenaire sans aucun droit, puisque leur union n’était pas légalement reconnue. Notre demande de reconnaissance des couples de même sexe faisait donc écho d’une certaine manière à cette réalité dans le milieu gay.

Pour la première fois, grâce à cette revendication en particulier, la société fut enfin confrontée ave la réalité des homosexuel/le/s dans toutes ses facettes, y compris et surtout celle du sida… Nous avions enfin le sentiment que le tabou commençait à tomber.

D’un point de vue plus personnel, comment vivais-tu ta situation de militant il y a trente ans ? Les choses ont-elles changé depuis ?

Je pense que les choses n’ont pas changé dramatiquement. La question du coming-out est toujours d’actualité, mais je pense que dans nos régions, ce qui a changé, c’est l’information. Aujourd’hui, l’homosexualité est omniprésente dans les médias, les jeunes ont des « role models », quelque chose qui a totalement manqué il y a 30 ans. On cherche à faire son coming-out plus vite qu’auparavant. En quelques semaines, c’est fait ! Surtout si on fait partie d’un « peer groupe », un groupe d’ami/e/s de même âge qui se trouvent dans une situation similaire.

Te considères-tu comme un « James Bond » du militantisme gay ?

Non, pas du tout. La seule situation dans laquelle je me suis senti peut-être un peu « James Bond », c’était pendant un meeting clandestin avec des militants tchécoslovaques et est-allemands à Prague en 1984. Après la chute du mur de Berlin, on a peu lire dans des actes de la Stasi que cette rencontre avait été espionnée par les services secrets. Mais la plupart du temps, on avait justement cherché le plus de visibilité possible. Il y avait cependant en Autriche une véritable inertie politique qui était très frustrante. On était tellement impatient, que nous avons même organisé actions directes, de style « ACT UP ! ». Au moment de la journée internationale de lutte contre le sida en 1988, nous avons occupé le bureau d’une ministre fédérale du parti populaire (ÖVP) qui s’était opposée à la reforme de l’âge de consentement discriminatoire. En 1990, lors d’un procès contre l’HOSI Wien accusée d’avoir « propagé l’homosexualité », je protestai dans la salle d’audience de la cour en saisissant les actes, sous les yeux de la juge, et en les jetant par terre. Je fus arrêté. En 1995, le ras de bol causé par cette stratégie d’inertie de l’ÖVP et de l’église catholique atteignait vraiment ses limites. Pour répondre à cela, j’ai annoncé l’outing de quatre évêques autrichiens lors d’une conférence de presse le 1er août 1995. Cette annonce a provoqué la plus grande vague médiatique de l’histoire du pays traitant du sujet de l’homosexualité.

Nous avons toujours joué sur deux répertoires, celui du « good cop » et du « bad cop ». On a fait des actions directes ainsi que du lobbying efficace. Et on nous a toujours considérés comme des interlocuteurs sérieux au niveau politique. Nous avons pu rencontrer des centaines de personnalités politiques et en 1992, pour la première fois, nous nous sommes entretenus avec le chancelier fédéral. L‘exception était les sept années « sombres » de 2000 à 2006, lorsque les ministres du gouvernement d’extrême droite (ÖVP/FPÖ), sauf exception de la ministre de justice du FPÖ, ont boycotté le mouvement et refusé tout entretien.

Quelles sont les difficultés actuelles et les véritables futurs enjeux d’ILGA et du militantisme en général pour les années à venir ?

Sur le niveau global, le plus grand défi, sans doute, et l’éradication complète de la criminalisation de l’homosexualité. Dans plus de 70 pays du monde, l’homosexualité est toujours considérée comme un crime. Nous devons absolument garantir les années à venir l’égalité pour toutes et tous, mais aussi la protection de ceux qui risquent leur vie pour être simplement ce qu’ils sont. Pour y réussir, je trouve, en vertu de mes expériences, qu’il faut forger des alliances avec d’autres mouvements, comme par exemple ATTAC, qui luttent pour un autre monde.

D’un point de vue plus personnel, je suis convaincu que le plaisir est le facteur le plus important pour tout engagement. Mon travail sur le plan international m’a toujours aidé à balancer la frustration causée par l’inertie en Autriche. Il faut prendre plaisir à s’engager et ne pas hésiter à s’offusquer lorsque c’est nécessaire. Sans engagement, nous ne serions sans doute par grand-chose à l’heure d’aujourd’hui.

 

Kurt Krickler est l’un des activistes les plus engagés dans la lutte internationale des droits LGBTQI. Il a fondé et participé à la naissance de mouvements internationaux majeurs comme ILGA-Europe. Il nous propose un petit feedback sur trente ans de militantisme en Autriche. Propos recueillis par François Massoz-Fouillien.

Bonjour Kurt. Tu étais et tu es toujours un membre actif du milieu militant LGBTQI de Vienne et d’ailleurs. Tu as suivi de très près la naissance et l’évolution d’une institution importante dans ce domaine : ILGA-Europe. Pourrais-tu te présenter en quelques lignes ?

J’étais, en 1979, l’un des co-fondateurs d’ « Homosexuelle Initiative (HOSI) Wien », la première association homosexuelle en Autriche. Dès le début, l’HOSI Wien a reçu un grand soutien international, et nous avons toujours voulu rester fidèle à ce soutien en mettant en place toujours plus de structures pour lutter contre les discriminations du public LGBTQI. En 1981, HOSI Vienne participa pour la première fois à Turin à une conférence d’IGA, l’association gay internationale, qui est devenue plus tard l’ILGA. Et c’était vraiment le début d’un engagement très intensif qui a persisté jusqu’à aujourd’hui. En 1982, nous avons créé « l’Eastern Europe Information Pool (EEIP) », qui étudiait la situation générale du milieu LGBTQI à l’Est. En cette qualité, HOSI Wien a tissé des liens privilégiés avec le premier mouvement gay et lesbien qui a pris naissance dans le « bloc oriental » à cette époque-là. L’EEIP a existé jusqu’en 1990. Ce travail était très intéressant et excitant, mais est devenu obsolète après la chute du rideau de fer.

HOSI Wien et moi-même, étions engagés dans presque tous les grands projets d’IGA, soit au sein de l’ONU, soit auprès de l’OSCE ou du Conseil de l’Europe, en passant par des projets de prévention contre le sida et d’autres activités importantes à l’échelle européenne. Nous avons enfin participé à la « régionalisation » d’ILGA, dont l’un des résultats les plus importants était, en 1996, la fondation d’ILGA-Europe. Par la suite, HOSI Wien a aussi soutenu la construction de l’ILGA-Europe, dont je suis devenu co-président depuis sa création jusqu’en 2003.

Comment des institutions aussi importantes aujourd’hui ont-elles pu voir le jour une trentaine d’années auparavant ?

En 1979, la situation était très « arriérée » dans une Autriche très catholique. À cette époque, il était toujours interdit par le code pénal de fonder une organisation homosexuelle ou d‘y adhérer comme membre et de diffuser toute information valorisant l’homosexualité. Ces deux lois avaient été introduites, avec deux autres lois discriminatoires – l’interdiction de la prostitution entre hommes et pour les relations consenties entre hommes à partir de 18 ans, tandis qu’il était fixé à 14 ans pour les relations hétérosexuelles et lesbiennes – en 1971, quand les actes homosexuels entre hommes et femmes furent décriminalisés. Malgré ces lois, nous sommes parvenus à fonder l’HOSI Wien et faire du travail de sensibilisation et d’information publique. HOSI Wien est véritablement le fruit d’un hasard historique, qui a vu un groupe de gens avec les mêmes idées, la même vision, se rencontrer au même moment. Groupe qui parvient à se maintenir depuis plus de 30 ans. HOSI Wien et même parvenue à administrer depuis 1980 son propre centre communautaire, une sorte de Rainbow House à Vienne, ouvert cinq soirs par semaine.

ILGA ne s’est pas faite en un jour. Quelles furent les plus grosses difficultés à l’époque ?

ILGA a été fondée en 1978, et elle était, dans ses débuts, une organisation « grass roots » avec des structures déréglées, en ligne avec le « zeitgeist », l’esprit de l’époque : pas de hiérarchie, une « démocratie de base ». ILGA ne pouvait prendre des décisions que pendant les conférences annuelles. L’ILGA des premières années était plutôt un forum d’échange, un réseau d’informations sans personnel d’encadrement. ILGA dépendait totalement du soutien et des activités de la part de ses membres. Mais les choses ont rapidement évolué lorsqu’ILGA-Europe fut fondée en 1996 comme organisation régionale européenne de l’ILGA. Nous l’avons alors dotée, dès le début, d’une structure plus traditionnelle.

L’ILGA-Europe a commencé comme organisation relativement très pauvre, avec un budget annuel d’à peu près 8000 euros. En 2000, quand ILGA-Europe reçût une « subvention de base » pour louer un bureau à Bruxelles et pour employer du personnel grâce à un programme de la Commission européenne contre les discriminations. Aujourd’hui, l’ILGA-Europe dispose d’un budget annuel de presque deux millions d’euros, d’une dizaine d’employé/e/s et d’un « standing » formidable parmi les ONG européennes à Bruxelles.

Quel était le contexte politique et social de l’époque ? Comment vivait-on le militantisme LGBTQI dans l’Europe d’Hier ?

C’était une situation tout à fait différente de celle d‘aujourd’hui. L’homosexualité était un tabou absolu, et l’Autriche n’était pas le seul pays avec des lois pénales anti-homosexuelles. Pour nous, dans l’HOSI Wien, le militantisme était un terrain vierge et pour cette raison, il était très important pour nous de regarder à l’étranger. Moi-même étant un grand « aficionado » des pays nordiques, le mouvement scandinave est devenue l’exemple, le modèle pour HOSI Wien. De plus, nos prémisses ont coïncidé avec un sentiment d’ouverture générale de la société qui a débuté dans les années 70. Beaucoup de mouvements alternatifs se sont créés, les écologistes, les féministes, la psychiatrie démocratique, les pacifistes et beaucoup d’autres. Nous avons été très clairement influencés par ces nombreux mouvements. On était « anti-establishment ». Les thèmes et les priorités, évidemment, étaient différents à cette époque. On a concentré les efforts sur l’éducation du public, sur la sensibilisation, sur les relations publiques, sur la lutte contre les lois discriminatoires.

Au début des années 2000, notre plus grand succès fut sans conteste la suppression de toutes les lois anti-homosexuelles en Europe. Ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui avec l’élargissement de l’Europe. Ensuite, nous nous sommes engagés dans la lutte pour la reconnaissance du mariage de couples de même sexe. Le mariage était le symbole de la répression patriarcale et réactionnaire. On aurait tourné en ridicule chacun et chacune qui aurait osé revendiquer le mariage pour les couples gays et lesbiens. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la crise liée au sida nous a permis d’introduire cette question à la fin des années 80. De nombreuses personnes dans le milieu gay décédaient et laissaient leur partenaire sans aucun droit, puisque leur union n’était pas légalement reconnue. Notre demande de reconnaissance des couples de même sexe faisait donc écho d’une certaine manière à cette réalité dans le milieu gay.

Pour la première fois, grâce à cette revendication en particulier, la société fut enfin confrontée ave la réalité des homosexuel/le/s dans toutes ses facettes, y compris et surtout celle du sida… Nous avions enfin le sentiment que le tabou commençait à tomber.

D’un point de vue plus personnel, comment vivais-tu ta situation de militant il y a trente ans ? Les choses ont-elles changé depuis ?

Je pense que les choses n’ont pas changé dramatiquement. La question du coming-out est toujours d’actualité, mais je pense que dans nos régions, ce qui a changé, c’est l’information. Aujourd’hui, l’homosexualité est omniprésente dans les médias, les jeunes ont des « role models », quelque chose qui a totalement manqué il y a 30 ans. On cherche à faire son coming-out plus vite qu’auparavant. En quelques semaines, c’est fait ! Surtout si on fait partie d’un « peer groupe », un groupe d’ami/e/s de même âge qui se trouvent dans une situation similaire.

Te considères-tu comme un « James Bond » du militantisme gay ?

Non, pas du tout. La seule situation dans laquelle je me suis senti peut-être un peu « James Bond », c’était pendant un meeting clandestin avec des militants tchécoslovaques et est-allemands à Prague en 1984. Après la chute du mur de Berlin, on a peu lire dans des actes de la Stasi que cette rencontre avait été espionnée par les services secrets. Mais la plupart du temps, on avait justement cherché le plus de visibilité possible. Il y avait cependant en Autriche une véritable inertie politique qui était très frustrante. On était tellement impatient, que nous avons même organisé actions directes, de style « ACT UP ! ». Au moment de la journée internationale de lutte contre le sida en 1988, nous avons occupé le bureau d’une ministre fédérale du parti populaire (ÖVP) qui s’était opposée à la reforme de l’âge de consentement discriminatoire. En 1990, lors d’un procès contre l’HOSI Wien accusée d’avoir « propagé l’homosexualité », je protestai dans la salle d’audience de la cour en saisissant les actes, sous les yeux de la juge, et en les jetant par terre. Je fus arrêté. En 1995, le ras de bol causé par cette stratégie d’inertie de l’ÖVP et de l’église catholique atteignait vraiment ses limites. Pour répondre à cela, j’ai annoncé l’outing de quatre évêques autrichiens lors d’une conférence de presse le 1er août 1995. Cette annonce a provoqué la plus grande vague médiatique de l’histoire du pays traitant du sujet de l’homosexualité.

Nous avons toujours joué sur deux répertoires, celui du « good cop » et du « bad cop ». On a fait des actions directes ainsi que du lobbying efficace. Et on nous a toujours considérés comme des interlocuteurs sérieux au niveau politique. Nous avons pu rencontrer des centaines de personnalités politiques et en 1992, pour la première fois, nous nous sommes entretenus avec le chancelier fédéral. L‘exception était les sept années « sombres » de 2000 à 2006, lorsque les ministres du gouvernement d’extrême droite (ÖVP/FPÖ), sauf exception de la ministre de justice du FPÖ, ont boycotté le mouvement et refusé tout entretien.

Quelles sont les difficultés actuelles et les véritables futurs enjeux d’ILGA et du militantisme en général pour les années à venir ?

Sur le niveau global, le plus grand défi, sans doute, et l’éradication complète de la criminalisation de l’homosexualité. Dans plus de 70 pays du monde, l’homosexualité est toujours considérée comme un crime. Nous devons absolument garantir les années à venir l’égalité pour toutes et tous, mais aussi la protection de ceux qui risquent leur vie pour être simplement ce qu’ils sont. Pour y réussir, je trouve, en vertu de mes expériences, qu’il faut forger des alliances avec d’autres mouvements, comme par exemple ATTAC, qui luttent pour un autre monde.

D’un point de vue plus personnel, je suis convaincu que le plaisir est le facteur le plus important pour tout engagement. Mon travail sur le plan international m’a toujours aidé à balancer la frustration causée par l’inertie en Autriche. Il faut prendre plaisir à s’engager et ne pas hésiter à s’offusquer lorsque c’est nécessaire. Sans engagement, nous ne serions sans doute par grand-chose à l’heure d’aujourd’hui.